En se banalisant, le terme de burn-out semble indiquer un phénomène nouveau qui se propage dans tous les secteurs professionnels.

Nombre de personnes se confrontent à une détresse inédite face à l’intensification irrésistible de leur activité.

Les limites qu’il semblait possible et légitime de poser jusqu’alors semblent se dissoudre sans prévenir.

Sans doute l’accélération généralisée des flux d’information y contribue-t-elle grandement.

Mais peut-être ne fait-elle qu’amplifier une mutation qui s’est opérée tout au long du XXème siècle.

En effet, le travail s’inscrit chaque jour davantage dans des procédures imposées par des systèmes d’organisation et d’information au nom de l’efficacité technique et managériale.

Chaque personne qui travaille est ainsi amenée à intégrer à son activité un ensemble d’injonctions formelles et rythmiques, qui sollicitent à plein ses capacités d’adaptation.

Or ce processus d’adaptation au travail trouve une limite que le philosophe Paul Ricœur, dans le texte Travail et parole, décrit comme la perte dans le geste dénué de sens, dans l’activité au sens propre insignifiante, parce que sans horizon.

Le phénomène du burn-out ne ramène-t-il pas à la question même du sens du travail, dont la perte précipiterait dans la consumation de toute ressource ?

Pour faire limite à l’épuisement, peut-être s’agit-il, comme y invite Paul Ricœur, de contre-battre l’objectivation par la réflexion ?

Et pour cela de considérer la capacité de penser comme une véritable ressource humaine.

Daniel Migairou, février 2019

 

Au VIème siècle avant notre ère, Héraclite observait que Rien n’est permanent sauf le changement.

Cette incessante mutation du réel n’est pas toujours perceptible, mais produit continûment des effets : c’est ce que le philosophe François Jullien appelle les transformations silencieuses.

Dans un monde en perpétuel changement, ce sont les différentes formes d’institutions, sociales et politiques, mais aussi familiales, économiques, éducatives, qui ont pour fonction de produire la stabilité nécessaire à l’existence humaine.

Un cadre de référence, un ensemble de règles et de repères.

Avec pour contrepartie l’instauration d’un ordre plus ou moins rigide, l’assignation des personnes à des places, des rôles et des identités pré-établies.

Au moment où les différentes formes d’institutions sont prises elles-mêmes dans des logiques de transformation rapide – notamment dans le monde du travail -, les enjeux et les risques, individuels et collectifs, se complexifient.

Dans Le Guépard de Visconti, le prince de Salina s’approprie la réflexion de son neveu Tancredi : Il fallait bien que quelque chose change, pour que tout puisse rester comme avant.

Ne serions-nous pas confrontés aujourd’hui à la question inverse : sur quels principes fondamentaux s’appuyer pour que s’engagent des processus de changement véritable ?

Daniel Migairou, janvier 2019

 

Mener un groupe de travail, animer une équipe ou un collectif : cela confronte quotidiennement à l’expérience du malentendu.

Pour se faire comprendre, expliquer ne suffit pas.

La langue commune entretient l’illusion que les mots signifieraient pour chacun la même chose.

Or l’expérience est frustrante et parfois cruelle.

Pour autant, cette désillusion peut aussi se vivre comme une occasion de sortir du retrait protecteur de l’explication et de parler en son propre nom.

Adresser sa parole, cela ne revient-il pas à se placer en position de traducteur et d’interprète de son propre propos ?

Ou, pour le dire autrement, à négocier sans cesse entre deux attentions : l’attention au propos qui s’énonce, et l’attention à la personne à laquelle il s’adresse ?

Comme dans toute traduction, il y a une perte.

Mais n’est-ce pas précisément l’acceptation de cette perte qui fonde les conditions d’un dialogue ?

Daniel Migairou, décembre 2018

 

Diriger associe étroitement pouvoir et responsabilité.

Réaliser un projet, créer une entreprise, animer une équipe : c’est conduire, c’est-à-dire mener, mais aussi orienter, indiquer une direction, donner du sens.

L’époque actuelle multiplie les points d’incertitude et brouille les repères. Le risque est de se replier sur des notions d’efficacité, et de laisser les objectifs tactiques se substituer aux buts.

Pour Hannah Arendt, dans La Crise de l’éducation, « une crise nous force à revenir aux questions elles-mêmes et requiert de nous […] des jugements directs ».

Dans ce contexte, l’enjeu de la réflexion n’est pas de l’ordre du calcul, mais porte sur la production de sens, la création de valeur, au-delà du seul résultat.

Qui peut aujourd’hui, en position de responsable, se satisfaire de la vieille rhétorique du pouvoir, qui tourne en rond, quand elle ne tourne pas court ?

L’autorité reconnue à celui ou celle qui dirige ne repose-t-elle pas davantage sur sa capacité à entendre, comprendre, arbitrer, et à répondre de ses choix ?

Daniel Migairou, novembre 2018

 

 

L’accélération généralisée des processus bouleverse le rapport au temps vécu, éprouvé, par nombre de responsables d’entreprises, de créateurs et de dirigeants. Cela génère pour eux de l’inconfort tout autant que des effets parfois euphorisants. Ne nous y trompons pas. Une certaine distance est toujours nécessaire pour comprendre ce que nous faisons.

Cela commence en marquant un arrêt, en ouvrant un espace et un temps pour prendre du recul et penser. Comme l’écrivait, entre inquiétude et malice, le philosophe Jean-François Lyotard dans les années 80 : « Dans un univers où le succès est de gagner du temps, penser n’a qu’un défaut, mais incorrigible : d’en faire perdre ».

Trente ans plus tard, savoir s’extraire de la course effrénée à la production n’est pas une perte de temps, mais la condition nécessaire pour créer du sens. C’est-à-dire pour véritablement agir plutôt que s’agiter.

Daniel Migairou

Lire et partager cet article sur Linkedin