Opposer présence et distance mène droit à l’impasse.
Car c’est oublier que la présence implique toujours une certaine distance sans laquelle il n’y a que confusion.
Praesens en latin indique bien une position précise, à savoir non pas dessus, dessous, dedans, mais devant, c’est-à-dire à une certaine distance.
Quel est donc le phénomène que vient nommer l’usage nouveau et insistant du terme distanciation ?
Le premier confinement en mars dernier a été l’occasion d’un nouveau type d’expérience dans laquelle une proximité relationnelle est maintenue malgré l’imposition d’une distance spatiale.
Le maintien de cette proximité relationnelle repose principalement sur un usage étendu des nouvelles technologies de communication.
Lorsque les relations ont lieu en présence, il y a toujours un espace vacant, un espace entre, qui permet d’être en présence de quelqu’un, de vivre l’approche et l’éloignement, de faire évoluer et nuancer un rapport.
Peut-être toute présence n’est-elle vraiment acceptable que par l’introduction de cet espace vacant ?
Les relations portées par les nouvelles technologies de communication compensent la distance spatiale par une continuité temporelle qui donne au lointain un accès permanent à nos espaces, le lointain étant ainsi, si l’on peut dire, toujours à notre porte.
La distanciation prescrite par les mesures sanitaires gouvernementales conduit à normaliser et généraliser l’interposition d’une technologie qui tord la distance spatiale en continuité temporelle, induisant une joignabilité permanente.
Cette torsion de l’espace-temps se paie de la perte de l’écart, car désormais l’espace entre les personnes en relation n’est pas vide, mais précisément envahi par des machines.
L’usage du terme de distanciation physique ou distanciation sociale nommerait-il ainsi, a contrario de ce qu’il semble indiquer, une perte de distance ?
Bien qu’invisibilisée, l’interposition de la machinerie électronique et numérique est bien réelle, et nous soumet à une continuité temporelle sans alternative.
Telle est l’expérience du télétravail, dans laquelle la mise à une certaine distance n’est obtenable qu’à condition de débrancher les caméras et les écrans, seule façon de marquer la limite de son propre espace par un geste de fermeture (on/off).
Avec la distanciation, c’est bien une distorsion du rapport entre présence et distance qui est à l’œuvre, produisant un escamotage des espaces vides, des temps perdus, des moments d’éloignement et de rapprochement, de la possibilité réelle de faire l’expérience singulière de l’écart, cet écart qui permet de souffler, de rêver, de penser, de désirer.
Daniel Migairou, novembre 2020
NB : merci à mon fils Élie pour la trouvaille qui donne son titre à ce texte.