Œuvres vives
Voilà une étrange question posée par l’architecture des navires.
Une fois sorties de l’eau, une fois émergées, exposées, engagées dans les circulations du monde, les œuvres seraient-elles d’une certaine façon déjà mortes ?
En effet, les dictionnaires signalent que le mot œuvres, employé au pluriel, désigne dans la terminologie de la marine les parties constituant la coque d’un navire, distinguant les œuvres vives, parties qui sont dans l’eau, des œuvres mortes, parties qui sont hors de l’eau.
Sous le niveau de l’eau, c’est là que ça travaille : le bois, la matière, les jointures et les agencements dans leurs formes propres.
En un sens, cela œuvre par le contact avec la matière, par la confrontation à sa masse, à sa matérialité, à sa plasticité, à sa résistance.
Il y a vie dans cette mise à l’épreuve de la structure et de la façon dont la pluralité qui la constitue – son hétérogénéité donc – fait front, fait ensemble.
Cette vie des œuvres du navire est d’autant plus vivante qu’un mouvement est engagé, qui les plonge dans la pression et la friction des éléments.
Au port, ou dans la tranquillité des eaux dormantes, la différence entre vie et mort des œuvres s’estompe.
Pourtant, c’est en cale sèche qu’elles ont été ouvragées, dans un lieu en retrait des éléments, un abri, un écart, et où le moment venu elles sont restaurées, les œuvres.
Si le mouvement du navire est possible – ainsi que les voyages au long cours –, c’est parce qu’un certain travail s’est opéré à l’arrêt, qui en pose et recrée les conditions de possibilité.
Un travail, donc, est nécessaire, à l’arrêt, dans l’écart, pour que ça puisse travailler, le pluriel des œuvres vives, dans cette bataille avec tout ce qui, du réel, ne cesse de résister au mouvement tout en le rendant paradoxalement possible.
Quelque part, sans doute, sous la ligne des eaux, là où ça travaille et bataille, les œuvres vives portent la marque de leur auteur, c’est-à-dire de son geste, comme une signature.
Daniel Migairou, novembre 2021