Pare-brise
Depuis plusieurs décennies, nos vies et nos activités sont prises dans une accélération constante, que les périodes de confinement n’ont pas véritablement ralentie.
Le temps nous manque, qui semble nous filer entre les doigts, sans que nous comprenions pourquoi ni comment.
Nous serions-nous coupés de ce que nos sens nous enseignent ?
Un pare-brise fait écran.
Dans un véhicule en mouvement, la matérialité de l’air est déviée par le pare-brise qui protège les occupants du véhicule de la friction créée par la vitesse.
On s’endort plus facilement au volant d’une voiture sur l’autoroute qu’à vélo dévalant une pente, la vigilance requise pour conduire une bicyclette s‘étayant en grande partie sur l’intensité de la sensation procurée par le contact de l’air sur la peau.
Transparent et translucide, le pare-brise se fait oublier et fait ainsi oublier la vitesse.
Il suffira de l’impact d’un minuscule gravier projeté au hasard du croisement d’un autre véhicule, pour que tout à coup le pare-brise surgisse à notre vue là où il était invisible : il est désormais vu, et aussitôt apparaît avec lui un risque.
Non seulement le risque qu’il se fende, se brise, explose, mais surtout celui de nous livrer aux effets immédiats de la vitesse.
Le risque d’être projeté au fond de son siège par l’intensité de la brise réelle, celle dont nous étions protégés par l’écran, nourrissant l’illusion d’une vitesse idéalisée.
Car derrière le pare-brise, la vitesse s’idéalise d’autant plus facilement que nous n’en avons qu’une expérience principalement visuelle : le défilé d’images qui semblent se projeter sur l’écran des vitres, et l’information chiffrée que transmet le tableau de bord.
À l’ère de la prolifération des écrans et des tableaux de bord en tous genres, l’accélération de nos existences ne chute le plus souvent de sa forme idéalisée que par l’expérience de l’incident, malheureusement parfois grave et douloureux, mais parfois presque insignifiant, aussi infime qu’une simple fêlure dans la vitre qui nous ramène brutalement à notre dimension de corps, à notre vie sensible.
Daniel Migairou, mai 2021
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