Face Nord

La domestication du feu date d’environ 400 000 ans.

Depuis lors, le feu éclaire et prolonge le jour aux dépens de la nuit, comme l’écrit le préhistorien Henry de Lumley.

Ainsi, l’obscurité menaçante semble pouvoir être tenue à distance.

La faculté de voir clair rassure chaque fois que le regard permet de reconnaître le déjà connu.

Quand ce qui se donne à voir ne ressemble à rien de déjà vu, le fait même de voir produit de l’inquiétude.

Reconnaître ce que l’on voit, c’est pouvoir le ranger sous une nomination, lui attribuer un nom.

Pour faire avec ce qui est inconnu, c’est une autre opération qui est nécessaire, et qui passe par la médiation du langage.

Face à ce que nous ne voyons pas clairement, face à ce que nous ne parvenons pas à discerner, il s’agit d’user du langage dans un sens d’élucidation.

Cette élucidation, qui fait éclairage de l’obscur, passe par une traversée des affects, c’est-à-dire la possibilité d’interroger l‘inquiétude, la peur, l’enthousiasme ou la colère, et sortir de la sidération.

Les mutations du travail refoulent dans la sphère privée les affects qu’elles génèrent, ce qui plonge un grand nombre de personnes dans un brouillard qui paralyse la pensée.

Cela s’exprime dans les nombreuses demandes actuelles à être accompagné pour y voir clair, pour pouvoir se repérer, pour pouvoir avancer.

D’où l’importance d’espaces dédiés à une parole qui s’autorise d’un usage tâtonnant du langage pour qualifier les ressentis, analyser les expériences et explorer des voies possibles.

Daniel Migairou, mars 2020