Sous pression

Au sens atmosphérique, dire que l’air ambiant est pesant n’est pas une métaphore, car l’atmosphère a un poids qui pèse sur nous du fait même de la gravité.

Un jour ou l’autre nous entendons dire – ou le disons nous-même : je suis sous pression.

De quelle pression est-il ici question ?

Le plus souvent, l’op-pression est le fait des autres, la dé-pression a une origine, mais la pression sans préfixe fait apparaître dans sa nudité une matérialité sans cause extérieure apparente.

Une présence diffuse qui s’immisce et s’intériorise.

On trouve dans les fêtes foraines une attraction qui a eu grand succès dans les années 1950 sous le nom de rotor.

À l’intérieur d’un grand tambour vertical, les passagers prennent place contre des parois, et lorsque le tambour accélère sa rotation, le sol se dérobe sous les pieds et c’est la pression qui protège de la chute.

La pression ici produit l’illusion de l’apesanteur, donne la sensation de la vitesse, et pourtant fige chaque personne : elle la scotche contre un mur.

Comme parfois quand les pensées tournent en boucle dans la tête, le cercle infini de la répétition produit à la fois l’illusion du mouvement et l’expérience de son empêchement.

Le philosophe Gilles Deleuze parlait de l’autoroute comme un mode de circulation entièrement sous contrôle : on peut s’y déplacer, y faire l’expérience de la vitesse, sans pour autant sortir de la boucle.

Le préfixe ex- marque la sortie, la séparation, le point de départ.

Pour les êtres de langage que nous sommes, se soustraire à la pression passe par l’usage de la parole dans sa dimension d’ex-pression.

Une façon, donc, d’en sortir, c’est-à-dire littéralement d’exister.

Daniel Migairou, février 2020