L’art de la reprise

Le mot métier nomme à la fois l’activité, la profession, le savoir-faire, et aussi la table de travail, celle sur laquelle Nicolas Boileau nous invite à remettre vingt fois notre ouvrage.

Ne parle-t-il pas métier, à sa façon, Samuel Beckett dans Cap au pire : Essayer encore. Rater encore. Rater mieux.

Reprenons.

Ce que métier fait entendre, c’est un lien étroit entre activité et savoir.

Dans lequel le savoir ne se restreint pas à un savoir-faire : c’est une dimension singulière de la personne que l’activité constitue et déploie.

Un savoir, dit Bernard Stiegler, qui donne de la saveur.

Voilà précisément ce qu’ignorent les nouvelles organisations du travail.

Car, quand le travail se fait métier, il donne prise sur la question du sens.

Le métier tisse ensemble le faire et le savoir, l’acte et le rôle, le cadre et le geste, la technique et le style.

Parfois, cela ne va pas sans accroc.

On peut alors parler d’un véritable art de la reprise.

Quand quelque chose a lâché, ou doit lâcher, c’est bien l’ouvrage dans son ensemble qui est à reprendre.

Pour refaire des liens, rétablir des circulations, mais aussi trouver de nouveaux chemins.

Reprendre, c’est aussi raccommoder.

Un dialogue sur le vif, avec des objets dits de travail, qui ne sont pas sans nous travailler, au corps comme à l’esprit.

Et qui parfois nous résistent.

La reprise concerne dans son entier notre rapport au monde.

Daniel Migairou, septembre 2019