Le cadre et la dynamique

Longtemps utilisé dans les entreprises, le terme d’encadrement est emprunté à l’organisation militaire, et laisse entrevoir des structures en lignes et en rangs, en règles et en mesures.

Ce qui est carré est rigoureux, dit-on.

Venant du latin quadro, qui signifie carré, le quadre désigne au XVIème siècle la bordure entourant un tableau, le plus souvent sous formes de lignes en angles droits.

Il y a une utilité technique et matérielle du cadre, qui supporte la peinture et en permet l’accrochage, mais il a aussi une importante fonction symbolique.

Par sa façon de délimiter un espace précis, le cadre soutient la potentialité de ce qui vient s’y inscrire, et pose les bases de son intelligibilité.

Il permet de distinguer des ordres de signification différents, voire contradictoires, et participe à la construction du sens.

Que nous apprend la généralisation, dans le monde du travail, du terme de management là où auparavant il était question d’encadrement ?

Disons tout d’abord qu’il s’agit d’un mot voyageur, qui nous vient de la langue anglaise, dans laquelle il aurait pour origine possible le français manègeto train by exercise as a horse »), lui-même issu du latin manus agere, conduire avec la main.

Le management serait-il une affaire de corps, conduits et menés dans une logique de dressage des forces vitales ?

Effectivement, le management reconnaît envisager la personne comme la ressource humaine d’un processus de production, c’est-à-dire du mouvement d’un ensemble de forces mécaniques ou chimiques visant un résultat.

Ce mouvement d’ensemble, dans quelles conditions est-il saisissable en terme de sens par celles et ceux qu’il concerne et implique ?

S’agit-il que ça tourne rond, au risque de l’enfermement dans la répétition et l’automatisme ?

C’est la parole qui permet de nouer des relations de sens entre des mouvements inscrits dans des cadres, dès lors qu’ils sont, les uns et les autres, parlables et parlés, c’est-à-dire ramenés à ce qui fonde l’humain.

Il se trouve que le terme anglais management pourrait avoir une origine plus ancienne, un mot français du XVème siècle, mesnager, qui donne aujourd’hui ménage.

Or ménager, c’est aussi, écrit Bernard Stiegler, « faire le ménage » au sens de « renouveler, rénover, discuter pour avancer malgré les discordes, qui sont des atouts pour éviter les erreurs qui pourraient résulter de la décision d’un seul. »

D’où l’importance d’instituer, dans les organisations de travail, des espaces de parole ouverts à la controverse en tant que dynamique propre à l’humain pour la construction du sens.

manager peut s’entendre comme une façon d’articuler le cadre et la dynamique.

Daniel Migairou, juin 2019